Des enfants bien dans leur assiette

Des enfants bien dans leur assiette
09.04.2021 Expériences et initiatives Temps de lecture : 9 min

Conseils pour faciliter l’acceptation de nouveaux aliments extrait du guide Autisme, des enfants bien dans leur assiette

Parce qu’ils appréhendent le monde d’une façon qui leur est propre, il est essentiel de prendre en compte la singularité perceptive spécifique à chaque enfant, pour l’accompagner dans son acceptation de nouveaux aliments ; et d’oublier les méthodes d’éducation à l’alimentation issues du monde ordinaire, pour en coconstruire de nouvelles, adaptées.

Ces conseils sont extraits du guide « autisme & alimentation » mais peuvent aussi être utiles pour les parents d’enfants qui ont une autre déficience.

Mobiliser les émotions positives

L’olfaction, tout comme la vue, joue un rôle majeur dans l’évaluation de la familiarité d’un aliment et dans la décision de le consommer ou non.

Pour accompagner les enfants avec un TSA dans le développement de leur répertoire alimentaire, s’intéresser à l’odorat et plus particulièrement à la familiarisation olfactive dans les situations d’apprentissage, semble être un moyen efficace d’augmenter la valence positive perçue d’une odeur.

En effet, l’olfaction joue un rôle essentiel dans l’évaluation de la familiarité.

Tout d’abord, car ce sens serait particulièrement orienté vers la détection de la nouveauté, cherchant davantage à repérer des différences entre diverses qualités d’odeurs qu’à identifier une odeur. Ensuite, car l’odeur est le sens qui active le mieux les émotions qui lui sont associées. Quand les odeurs évoquent des souvenirs positifs, elles ont la capacité, entre autres, d’augmenter les émotions positives vécues au moment de l’évocation et ce, même sans conscience de la présence de l’odeur. Les émotions mémorisées, liées tant au contexte dans lequel s’est passée l’exposition à l’odeur qu’à l’expérience de l’aliment, contribueront à l’évaluation de la familiarité. Ainsi, si la familiarisation est réalisée dans un contexte relationnel et émotionnel positif, l’odeur sera associée en mémoire à une émotion positive, et de fait, sentie dans un nouveau contexte, elle ravivera une émotion positive.

En créant les conditions pour que l’enfant porte son attention sur le stimulus olfactif et en interagissant avec lui autour de cette odeur à l’aide de différents moyens de communication (mots, gestes, images ou autres moyens inventés par l’enfant), nous lui permettons de choisir la stratégie qui lui convient pour sentir l’odeur de façon répétée, jusqu’à ce qu’elle lui devienne familière. Et corollairement, son appréciation de l’odeur s’améliore. La familiarisation olfactive apparaît donc comme un processus de régulation émotionnelle. La familiarisation olfactive, un processus de régulation émotionnelle

Un grand nombre d’enfants avec un TSA, notamment ceux présentant le plus de particularités sensorielles, ont ensuite choisi, entre deux aliments proposés, l’aliment associé à « l’odeur familière ». Le processus de familiarisation a donc influencé les choix alimentaires. Suggérant qu’il est donc possible de moduler les émotions olfactives et d’étendre le répertoire alimentaire des enfants avec un trouble du spectre de l’autisme.

Dans le domaine de l’éducation à l’alimentation chez les enfants avec un TSA, l’application de tels protocoles ouvre des perspectives intéressantes avec de nouvelles approches, basées sur le plaisir et les interactions sociales, visant à élargir la diversité alimentaire dans cette population.

Laisser l’enfant être «acteur» du repas

L’éducation à l’alimentation est considérée comme une branche scolaire particulière qui demande de faire vivre des expériences alimentaires aux enfants. Selon le manuel de la Food and Agriculture Organization (FAO, 2007), elle « diffère de l’éducation traditionnelle », par le fait qu’en plus des connaissances et de la compréhension, « elle doit favoriser des attitudes et un comportement durables. Pour cela, les connaissances et le fait de dire les choses ne suffisent pas. Seules l’action, la participation et l’expérience aboutissent à une éducation nutritionnelle pour toute la vie ». De plus, la procédure éducative doit être individualisée en tenant compte des particularités de chaque élève.

Une connaissance approfondie de la construction du comportement alimentaire des enfants et des adolescents avec un TSA est également nécessaire pour pouvoir proposer des activités pertinentes.

Nous avons vu que la posture dialogique permet d’aborder l’éducation à l’alimentation sous des angles variés, à la fois objectifs et subjectifs, et qu’elle semble indispensable pour guider les pratiques éducatives.

Ainsi, au cours de nos expériences, nous avons observé que les enfants avec un TSA demandent à prendre le flacon d’odeur en main pour pouvoir le sentir. Pour certains, sentir le flacon n’était même possible qu’à cette condition. Des groupes de discussion conduits en 2015 par deux chercheurs américains (Robertson et Simmons) avec six adultes présentant un diagnostic d’autisme ou de syndrome d’Asperger ont aussi mis en évidence l’importance pour les participants de pouvoir contrôler eux-mêmes les stimuli sensoriels, comme pour les rendre plus prévisibles.

Ainsi, amener l’enfant à gérer lui-même l’expérience sensorielle et par extension l’expérience alimentaire de façon à donner une place plus grande à ses propres stratégies cognitives semble être une méthode d’apprentissage intéressante. L’adulte doit quant à lui veiller à adopter une posture d’accompagnement adéquate lui permettant de s’appuyer sur les savoirs de l’enfant et de pallier ses manques. Par exemple, si l’enfant n’arrive pas à gérer plusieurs stimuli sensoriels simultanés, l’adulte les présentera séparément. L’enfant pourra ainsi développer de nouvelles stratégies pour gérer efficacement ses processus sensoriels.

Prendre en compte la singularité de l’enfant

 Le temps ordinaire n’est pas nécessairement celui des personnes avec un TSA. Il est donc important d’être attentif à prendre en compte les temporalités singulières lors d’interventions éducatives.

Les enfants au développement typique (DT) explorent les stimuli simples plus rapidement que les multiples avant de donner leur appréciation. Les enfants avec un TSA ont, eux, besoin d’autant de temps pour les deux types de stimuli.

 De la même façon, une étude consistant à présenter des images d’objets plus ou moins typiques des catégories « chiens, chats, divans ou chaises » et à les classer, a montré que les personnes avec un TSA (enfants d’âge scolaire, adolescents et adultes) montrent des performances semblables à celles des individus appariés au DT quant à l’exactitude, mais ont un temps de réaction plus lent pour évaluer les stimuli atypiques.
Les enfants avec un TSA ont également besoin de temps pour pouvoir créer une relation et l’investir pour finalement réaliser la tâche demandée, en l’occurrence les tests olfactifs et le choix alimentaire.

Léna, six ans, a attendu plus de trois minutes avec la chips qu’elle avait choisie dans la main avant de la mettre en bouche et de commencer à la manger. Elle a ensuite eu besoin de quatre nouvelles minutes pour la finir avant d’en prendre une deuxième. Elle avait procédé de la même façon lors du choix alimentaire proposé durant l’Ados (une échelle d’observation utilisée pour poser le diagnostic du TSA) et elle n’avait au final mangé qu’un seul des deux aliments à sa disposition, ce qui suppose que ce temps long lui était nécessaire pour effectuer un choix.

Pour Lamia, dix-sept ans, le temps joue également un rôle important tant dans le jugement d’appréciation de certains aliments (qui ne doit pas être trop long) que dans sa vie en général, où elle semble avoir arrêté le temps social, car elle n’arrive pas à se décider à entrer dans le monde dit ordinaire.

Là où les personnes typiques perçoivent plus vite ou mieux la forme globale de l’objet, les personnes avec un TSA « se promènent » dans la forme à différents niveaux, donc tendent à l’explorer d’une manière unique, ou idiosyncrasique à chacune. Veiller à la façon dont les aliments sont présentés aux enfants d’un point de vue perceptif (séparer les aliments, choisir des présentations visuellement les plus simples possible…), créer un contexte émotionnel positif, permettent d’éviter de générer chez l’enfant des émotions négatives et s’avèrent importants pour favoriser l’acceptation.

Enfin, l’application littérale de méthodes d’éducation à l’alimentation issues du monde ordinaire est à manier avec prudence. Par exemple, la découverte sensorielle (l’attention aux propriétés sensorielles) des aliments est un outil largement proposé pour accompagner la construction alimentaire chez l’enfant au DT, tant dans la littérature scientifique qu’en promotion de la santé à l’image de la méthode Sapere, qui propose une démarche d’éveil sensoriel « déclinée en modules permettant de réaliser les leçons autour de la découverte du goût et des cinq sens, en lien avec les différents apprentissages scolaires ».

Or, pour Lamia par exemple, une attention trop grande aux propriétés sensorielles d’un aliment complique l’accès à la mémoire et aux traces lui permettant de l’aimer. Des méthodes d’attention sensorielle ne lui seraient pas d’une grande utilité, voire pourraient être contre-productives si elles sont utilisées telles quelles

C’est pourquoi, les particularités sensorielles des enfants avec un TSA devraient être systématiquement prises en compte pour adapter les activités à leur mode cognitif propre. Une approche qui nécessite un certain lâcher-prise de la part des accompagnants, notamment sur leurs propres croyances en matière d’alimentation ou sur les normes sociales explicites ou implicites qui régissent l’alimentation.

Porter un regard le plus neutre possible sur les expériences vécues par les enfants qui seuls détiennent « les clés de leur monde », nécessite d’oublier les hypothèses a priori ; et de véritablement vivre l’expérience alimentaire avec eux (en dégustant ensemble ou en dialoguant autour de l’odeur lors de la familiarisation olfactive) dans l’espace relationnel créé avec eux.
Cette façon de procéder permet de vivre de l’intérieur la construction du phénomène et de ressentir, par exemple, les dégoûts de Lamia, l’attraction exercée par les détails sensoriels lors des dégustations ou encore l’importance des intérêts particuliers dans la vie des enfants.

En redonnant aux enfants avec un TSA le rôle d’experts, d’experts de leur propre alimentation ou de leur sensorialité, l’accompagnant devient apprenant et enrichit sa pratique par le recueil du récit de l’autre ou des autres.

Cet extrait est issu du guide élaboré par APICIL suite au travail réalisé par Anne-Claude Luisier à l’institut Paul Bocuse, dans le cadre d’un doctorat de l’Université Claude Bernard Lyon 1, en cotutelle avec l’Université de Fribourg en Suisse.

Pour lire le guide https://www.groupe-apicil.com/wp-content/uploads/2020/11/APICIL_Autisme-des-enfants-bien-dansleur-assiette-2.pdf

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