Bébés et jeunes enfants en difficulté de communication

Bébés et jeunes enfants en difficulté de communication
24.01.2012 Réflexion sur Temps de lecture : 10 min

« Accessibilisation » de l’information et Communication Alternative et Améliorée (CAA)

Lorsqu’un jeune enfant ne rentre pas spontanément dans les processus de communication, les deux versants de la communication, réception et expression, sont à soutenir et renforcer…

La qualité de communication avec les jeunes enfants et les bébés est avant tout dépendante du bon vouloir et du savoir faire humain en interaction avec ce bébé, qu’il soit déjà étiqueté handicapé, ou « à risque », ou en difficulté apparente de communication… Savoir faire oral et linguistique, mais aussi savoir-faire physique et moteur, sensoriel et proprioceptif.

Ces jeunes enfants en difficulté présentent le plus souvent un écart important entre leur compréhension et leurs capacités d’expression réduites. Quelle que soit l’étiologie ou la raison de leurs difficultés, il sera important de s’y référer car les connaissances récentes des développements linguistiques du tout petit, ou spécifiques des différentes pathologies dans le champ du handicap (moteur et autres), se répercutent sur les projets thérapeutiques.

En tout état de cause, la construction de soi et de l’identité, en jeu dès les premiers jours, le processus d’individuation cher à D.W.Winnicott, et toutes les étapes nécessaires à l’installation de la communication et du langage que nous ne détaillerons pas ici, requièrent que le bébé communique avec son entourage dès le plus jeune âge, avant même qu’un défaut d’expression n’apparaisse.

Il est donc extrêmement important d’engager le plus précocement possible une dynamique d’étayage communicative au quotidien pour construire la relation et manipuler du sens dans la relation, en ouvrant le champ à d’autres formes de communication, parfois un peu différentes de la norme, mais co- construites et partagées avec un environnement attentif.

Le développement psycho-affectif autant que le développement linguistique en dépendent.

Nous traiterons ici davantage du très jeune enfant que du bébé, qui lui, ne l’oublions pas, qu’il soit handicapé ou non, est avant tout et tout simplement un bébé, et qu’il a besoin de personnes attentives et aimantes, qui s’adaptent à ses capacités, et qui prennent soin de lui en posant sur lui un regard tourné vers un avenir de progrès et de développement.
Avec un bébé, ce sont d’abord les parents qui ont besoin d’un accompagnement dans cette dynamique souvent parsemée d’écueils et de regrets, de souffrance et de solitude, pour leur permettre d’accueillir ce petit bout d’homme dans un regard singulier mais positif.
Il est important de noter qu’un handicap moteur pur n’a pas les mêmes conséquences sur le parent du bébé qu’une déficience intellectuelle. Dans le premier cas, il est question de faire vivre au bébé et à l’enfant jeune les mêmes expériences de langage que le bébé qui va bien, accompagnées d’exigences analogues. Dans le deuxième cas, les parents vont devoir faire face à un trouble de la communication « qui dure », avec des adaptations de comportement à cha- que pas fait ou non fait, et surtout, faire le deuil d’un enfant avec qui la communication aurait été « normale ».

Comment l’enfant valide apprend-il la communication  ?

C’est d’abord avec son corps, véritable « grille de lecture » pour la mère, que le bébé communique : mouvements et orientations, babils et expres- sions, grognements et pleurs, tous ces signaux sont interceptés et interprétés par l’entourage attentif. Il s’agit parfois de signaux subtils que seuls les proches décodent.
Avec l’âge, le bébé précise ses mouvements d’orientation, de prise, de désignation et est attiré par nos gestes et mimiques qu’il reproduit. Dès 8 ou 9 mois, il fait des signes, qui sont ceux que nous lui montrons dans le jeu : coucou, caché, les marionnettes, bravo, chutt, il imite le bruit de la voiture avec ses mains sur le volant imaginé, etc. Il les fait parce que nous les lui avons montrés et utilisés dans l’interaction (l’enfant de parents sourds signe bien plus tôt que l’enfant entendant ne communique avec les mots). Le signe est conceptuel, il colle à une image qu’on se fait d’une situation ou d’une demande, il n’est pas arbitraire, contrairement au mot. Le signe est reconnu comme un pont entre le concept et la parole (recherches menées auprès des personnes avec aphasie, déficience intellectuelle ou auprès des bébés signeurs). Il est un pas vers la symbolisation.

Dès 8 mois, le bébé désigne des images sur les livres que nous partageons avec lui. Nous désignons aussi des objets, nous les lui montrons avec insistance, nous les nommons, et nous faisons de même avec les images en général. Nous sollicitons son attention. Il comprend les concepts mais va attendre 18 mois pour exprimer et prononcer ses premiers mots tant attendus ! Pourquoi ne pas lui proposer d’autres signes et d’autres images avant cet âge plutôt tardif ?
Jacques Souriau, (psychologue, ex-directeur du CRESAM, Poitiers) écrit : « La communication est basée sur l’exercice de compétences dont le développement commence dès le début de la vie et qui ne nécessitent pas de pratiques éducatives conscientes. Ces compétences émergent naturellement des expériences communicatives variées dans lesquelles les enfants sont impliqués… La communication est première, le langage secondaire. La pratique et l’expérience de la communication et du dialogue servent de « lieu d’accueil » à la construction du langage donc à l’utilisation de symboles… »
Il ne s’agit pas que de langage oral, mais aussi de langage tout court, cette capacité à manier des images mentales, à les évoquer, les comparer, les associer, et les faire partager en les exprimant, pas nécessairement oralement.
Dans ces taches, la compréhension et l’évocation précèdent l’expression.

D’autres auteurs comme Bénédicte de Boisson Bardies dans « Le lan- gage, qu’est ce que c’est ? » ou Jérôme Bruner dans « Comment l’enfant apprend à parler » (« L’interaction mère-bébé est le creuset dans lequel va émerger le langage ») renforcent ces analyses concernant le processus d’acquisition du langage chez l’enfant.
Le langage s’acquiert dans des situations affectives et communicatives valorisantes, riches, variées, répétitives…

Des conditions, bien décrites par ces auteurs, sont indispensables à ce processus dynamique d’entrée dans la communication :

Le « bain » de langage

dans lequel l’enfant vit avec ses proches. Ce flot de paroles dans lequel, à cause de nos comportements langagiers qui soulignent, « montrent du mot », étayent, renforcent ou au contraire négligent certaines de ses productions, l’enfant trouve petit à petit ses repères et construit, déduit, reconstruit ….
Nous utilisons sans en avoir conscience du « mamanais » : le langage des mamans adressé au bébé, avec sa tonalité musicale, ses répétitions et ses simplifications de vocabulaire. Nous chantons, fredonnons, réinventons des comptines au vocabulaire riche. Nous imitons l’enfant, nous valorisons ses productions, nous répétons avec lui, nous organisons des tours de rôle et nous rentrons dans les tours de rôle proposés par le bébé, dans des routines, nous renfor- çons ses messages en les enrichissant. Et nous le faisons en parlant, l’enfant valide va parler. Le tout, en désignant du doigt les images, les objets, les livres etc.

Les activités partagées

qui participent des domaines ludique, moteur, proprioceptif, sensoriel, émotif, etc., permettent la constitution de connaissances et d’expériences. Elles sont un accès vers la connaissance du monde extérieur et fournissent des sujets de conversations ultérieurs.
Ces activités partagées permettent par leur évocation partagée la constitu- tion d’images mentales qui se construisent au cours de séances narratives (« tu te souviens quand on faisait ça, quand on se balançait sur le cheval, quand on faisait du vent ? ? ? » etc. : on revit les émotions, on mime (le cheval, souffler comme le vent etc.).
Connaître, c’est sûrement expérimenter, mais aussi et surtout, se souvenir avec : jouer, mimer, rejouer les situations vécues, sont des moyens d’exercer l’évocation.
Vivre des activités partagées, pour pouvoir y faire référence.
Vivre des activités ludiques avec plaisir, adaptées le plus possible, pour expérimenter ce qui va devenir la base de l’intelligence et de la communication : la cause à effet.

Etayage de l’adulte modélisateur sur le plan du langage :

  • Tours de rôles, routines
  • Imitation, répétition
  • Valorisation
  • Désignation doigt + langage oral avec enrichissements sémantiques et expansions syntaxiques
  • Attention conjointe …

Cet étayage ne prend sens que dans une relation affective avec contacts corporels aimants et accordage réciproques.

Chez ces bébés différents ….

Un retard ou la pauvreté d’expression d’un enfant entraînent la plupart du temps chez le partenaire une grande pauvreté du langage adressé (même et sur- tout chez sa mère), des absences de réponse communicationnelle (notamment les feed-back donnés par la maman aux productions de son bébé), ainsi qu’un style directif d’adressage, qui prive l’enfant de son expression propre et conduit à un appauvrissement de la communication. Il faut cependant préciser et souli- gner à la fois auprès des professionnels et des parents, que ce sont bien les difficultés de l’enfant qui entraînent celles de la mère. On a trop culpabilisé les mères et les parents à cause d’une non-compétence ou d’un manque de savoir faire prétendus, qui auraient entraîné un retard de langage chez le bébé. C’est bien le contraire qui se joue dans cette interaction appauvrie.
Que la déficience soit apparente ou pas encore, les altérations éventuelles de la réception et de la production des messages, les difficultés d’analyse et de manipulation des codes de façon générale, ainsi que la dyscapacité à réaliser intentionnellement et en temps réel des actions communicatives, même sous forme de pointage ou de gestes, d’orientation du corps et de la tête, peuvent entraîner chez l’enfant des ruptures de la cohérence et de la continuité du monde.
Gayle Porter (orthophoniste, Australie, Isaac*) souligne que si l’enfant en difficulté d’expression orale ne reçoit que de la langue orale, il éprouve le plus grand mal à mettre en place d’autres moyens de communication, une éventuelle langue alternative. Il nous revient la responsabilité de pratiquer nous-mêmes cette langue alternative si nous voulons que le jeune enfant face à nous l’utilise.
La prise en charge précoce visera à donner des outils de communication adaptés permettant aux partenaires en interaction d’échanger leurs connaissances et leurs émotions dans des délais raisonnables pour le jeune enfant.

L’ étayage devrait être le plus positif possible :

Il est important d’accorder à l’enfant le droit d’être différent, accompagner ses gestes, initier avec lui les gestes qu’on attend qu’il fasse (tendre ses bras vers son papa s’il ne le fait pas spontanément). Lui maintenir la tête pour solliciter l’attention conjointe, guider sa main vers les images des livres ou de son cahier de vie, se placer bien face à lui. Et adapter le rythme, prendre le temps, donner le temps de la réaction. Ajouter de nouveaux mots, de nouvelles idées, de nouvelles occasions de faire. Il est recommandé de l’imiter même si ce qu’il produit ne fait pas partie des productions attendues, et de rentrer dans les tours de rôle proposés. Filip Loncke (Isaac*) insiste dans son travail de recherche sur la communication non symbolique, sur la pertinence d’une pratique de reproduction en miroir des signes envoyés par l’enfant pour leur donner du sens. Et surtout, ce bébé a besoin d’être félicité !

 

Suite de l’article :

« Un bain de langage trilingue : parole, signes et images ! »

« Quelles images, quels signes, quels outils, pour quels concepts ? »

« Accompagnement des parents »

 

Article publié dans la revue Rééducation orthophonique, n°241, mars 2010
http://www.orthoedition.com/revues/reeducation-orthophonique-174.html

Retour aux articles de la rubrique « Communication »

Mots-clés :

Aller au contenu principal