L’errance diagnostique

L’errance diagnostique
01.03.2016 Témoignages Temps de lecture : 8 min

Un témoignage de maman à l’occasion de la journée mondiale des maladies rares, 29 février 2016

« Il ne faut pas étiqueter son enfant. Ca ne sert à rien de vouloir le mettre dans une case. Ça ne changera rien. S’ils n’ont rien trouvé c’est bon signe. Et puis s’ils n’ont rien trouvé pour le moment c’est peut être qu’il n’y a rien, et que tout va s’arranger »

Voilà ce qu’on entend régulièrement face à l’errance diagnostique de notre fille Eléa, qui fêtera ses 7 ans en avril prochain. 

Quelques mots lancés sans réfléchir, pour dédramatiser, ou pour nous rassurer ? Une chose est sure, les personnes qui prononcent ces phrases ne savent pas de quoi elles parlent, ni ce que vivent les personnes en attente de diagnostic. Ça part surement d’une bonne intention et je ne leur jette pas la pierre, mais je les invite à se mettre quelques instants à la place de la personne à qui ils adressent ces mots.

« Il ne faut pas étiqueter son enfant. Ca ne sert à rien de vouloir le mettre dans une case »

Trouver une maladie ou un handicap n’est pas étiqueter son enfant. Lorsque vous allez chez le médecin parce que vous êtes malade, vous êtes bien contents qu’il trouve ce que vous avez pour vous donner le traitement adapté. Et bien c’est exactement la même chose. Les diagnostics peuvent permettre l’accès à une meilleure prise en charge. Je pense notamment à l’autisme, qui s’il est diagnostiqué tôt, permet d’agir avec des méthodes précoces comme la méthode Denver qui donne de bons résultats. Or, les diagnostics d’autisme sont parfois longs à arriver. En terme de rééducation, on n’utilisera pas les mêmes méthodes pour un enfant déficient intellectuel et un enfant autiste, même si certaines peuvent correspondre à différents handicaps.

Avoir un nom de maladie permet aussi d’échanger avec d’autres parents et d’avoir une vision sur l’évolution et une meilleure connaissance de ce qui marche ou ne marche pas en terme de méthodes éducatives, de rééducation, etc.

Bien sur nous n’avons pas attendu d’avoir un nom de handicap pour commencer la rééducation, et heureusement sinon nous attendrions toujours. Les spécialistes proposent évidemment des exercices qui s’adaptent à l’enfant. Et avec un même handicap, chaque personne reste unique avec ses spécificités.

L’autre inconvénient à ne pas avoir de diagnostic précis, est l’impression de devoir toujours se justifier. Si on répond que notre enfant a une trisomie 21, c’est plutôt simple, les gens comprennent et s’arrêtent là. (et encore, il y aurait ici des choses à dire car une personne atteinte du syndrome de dawn, trisomie 21 n’est pas l’autre, mais ce n’est pas le sujet…) Si on répond que notre enfant a un handicap non défini, on nous demande quels sont les symptômes, et là nous listons tous les symptômes pour que les gens comprennent de quoi on parle. Bien sur, nous devons réaliser la même prouesse dès que nous remplissons un dossier auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées.  J’ai d’ailleurs subi un véritable interrogatoire de police par téléphone avec une assistante sociale de la MDPH qui essayait de comprendre ce qu’avait ma fille exactement, et ce malgré toutes les synthèses des spécialistes que j’avais joint au dossier.  C’est d’ailleurs le diagnostic qui définie le taux d’incapacité.

« S’ils n’ont rien trouvé, c’est bon signe »

Ah bon ? Cela fait 7 ans que ma fille souffre d’un handicap qui ne lui permet pas d’avoir la même vie que les autres petites filles, et pour arriver là où elle en est aujourd’hui, elle a eu plus d’examens et de rendez vous de rééducation que certains n’auront pas en une vie. Donc « c’est bon signe », je ne sais pas comment nous devons l’interpréter.  C’est bon signe parce que ce n’est pas une maladie grave connue ? Ce n’est pas un handicap connu ? En quoi le fait que cela ne soit pas connu soit rassurant ? Bien sur, si on nous avait annoncé que notre fille avait une faible espérance de vie en raison de telle ou telle maladie, cela aurait été atroce. Mais l’errance diagnostique n’a jamais été gage de bonne santé. Alors effectivement, le fait qu’ils aient éliminé des maladies graves connues nous a rassurés. Ceci dit, de nouvelles maladies graves ou non sont découvertes tous les jours. «Le bon signe » serait de nous annoncer ce qu’elle a, et que ce n’est pas grave » Ne rien annoncer laisse planer le doute. C’est comme avancer dans un tunnel les yeux fermés.

« s’ils n’ont rien trouvé pour le moment c’est peut être qu’il n’y a rien »

Cette phrase, est de loin la pire. On m’annonce qu’en fait, ma fille n’a peut être rien. Mince alors, le problème doit donc venir de nous ? Nous l’éduquons mal. Se sont souvent les mêmes personnes qui se transforment en spécialistes le temps d’une conversation, et qui mieux que les généticiens et neuropédiatres trouvent une réponse en cinq minutes au handicap. « Tu l’as allaité, c’est pour ça qu’elle a pris du retard pour parler » « tu l’as trop couvé tu l’as empêché de se développer » En plus d’être emplies de jugement, ces phrases sont une hérésie pour la science ! Et à entendre ça fait mal, très mal.

Dans le sens inverse, ces pseudo-spécialistes trouvent d’autres réponses et en profitent pour te rallier à leur mouvement : « tu l’as vacciné ? C’est les vaccins, il faut porter plainte » « tu as eu un déclenchement pour ton accouchement ? C’est surement à cause de ça, moi j’ai accouché naturellement sans l’aide de personne au milieu d’une foret et mon enfant se porte à merveille» (sur ce dernier point j’en rajoute, mais vous aurez compris l’idée)

Sachez, qu’en tant que parents d’enfant avec un handicap, sans diagnostic, nous sommes déjà très bons à nous tout seul pour fantasmer sur ce que nous avons fait ou mal fait du premier jour de la grossesse aux premiers mois de sa vie. Vous n’avez donc pas besoin d’en rajouter.

Toutes les hypothèses y sont passées. C’était une grossesse sous stérilet, peut être que le cuivre a abîmé l’embryon ? J’ai appris au bout d’un mois que j’étais enceinte, j’avais bu de l’alcool, c’est à cause de ça ? J’ai mangé dans des assiettes en plastique, j’ai peut être ingéré trop de phtalates ? J’ai déprimé les premiers mois de grossesse, il parait que ce n’est pas bon pour le bébé, ça a peut être joué ?  L’accouchement a été long, est-ce que la morphine, l’ocytocine ont été mauvais pour le bébé ? Son score d’apgar était mauvais à 1 minute de vie, elle ne s’en est peut être pas bien remis ? C’est à cause des vaccins elle a eu de gros épisodes de pleurs suite aux injections ? Quant à mon mari, il a cru pendant 4 ans qu’il l’avait secoué une nuit ou il l’avait sorti du lit et qu’elle pleurait,  et que c’était à cause de lui, jusqu’à ce que l’IRM vienne nous montrer qu’il n’y avait pas du tout de syndrome de bébé secoué et de trace qui aurait pu indiquer ça.

De longues heures passées à lire des articles de recherche génétique en français, en anglais, je connais désormais un nombre incalculable de noms de maladies génétiques et leurs symptômes associés, pour avoir essayé de trouver celle ou je retrouverai tous les symptômes de ma fille. J’ai souvent cru avoir  trouvé, et je remercie notre généticienne pour sa patience et ses réponses à mes trouvailles. Effectivement, on retrouve un peu d’Eléa dans la dyspraxie, les troubles de la sphère autistique, des délétions ou duplications sur divers chromosomes, le X fragile.. Mais pour le moment ce n’est rien de tout ça et il faut apprendre à accepter de ne peut être jamais pouvoir mettre un nom sur son handicap.

« Ça va s’arranger, tu vas voir qu’elle va finir par rattraper son retard »

Non, elle ne va pas « rattraper » son retard. Déjà, à partir de  4 ans, on ne parle plus de retard mais de trouble.  Elle se développe à son rythme, l’idéal étant qu’elle arrive à accéder à plus d’autonomie possible, et qu’un jour elle puisse se débrouiller seule. Nous n’avons pas pour objectif qu’elle sache faire des divisions, qu’elle fasse de grandes études, qu’elle soit championne olympique. A un moment donné, il faut être réaliste, nous avons fait notre chemin dans l’acceptation du handicap, à vous de faire le votre, et d’accepter la différence de chacun. Il ne faut pas la voir comme ce qu’elle pourrait  être si elle n’avait plus de handicap, mais comme ce qu’elle est et favoriser l’inclusion et le vivre ensemble.

Le 29 février 2016, c’est la journée des maladies rares, c’est pourquoi j’avais envie de partager mon ressenti.

Association Les Amis d’Elea
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http://assolesamisdelea.wix.com/les-amis-d-elea

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