Une rencontre forte

Une rencontre forte
07.03.2022 Témoignages Temps de lecture : 9 min

Le témoignage de Paula : la rencontre entre une famille d’accueil et deux enfants en situation de handicap…

Bonjour, je me présente, je m’appelle Paula. Pendant plus de 15 ans, j’ai accueilli de très jeunes enfants à mon domicile, en tant que famille d’accueil. J’ai laissé pour cela mon métier de formatrice en mathématiques et droit fiscal en Centre de formation pour adultes, c’était un vrai “choix de vie” pour moi.

Une fois mon agrément obtenu, j’ai été amenée à accueillir de jeunes enfants ayant des particularités, retard du développement, difficultés de relation avec ce qui les entourait, troubles importants dans divers domaines repérés, mais aussi non repérés, sans aucune prise en charge ni évaluation.

La coordination, une mission au coeur du métier d’assistante familiale

L’arrivée d’un enfant « extra-ordinaire » est très chronophage pour une famille d’accueil : se mettre à la disposition des équipes d’évaluations, gérer les plannings, faire un lien avec l’équipe du département, le référent de l’enfant et les familles dont la présence est demandée à chaque fois, tout cela en préservant au mieux le rythme de l’enfant, les biberons, les repos…

Bilans divers, évaluations au centre d’évaluation et de diagnostic de l’autisme (CEDA), au Centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP)…Tout est à faire et à découvrir pour mettre des mots et apporter une réponse en lien avec les équipes de soins, l’Aide sociale à l’enfance et les familles.

Très souvent les familles n’ont jusque-là rien mis en place, soit par peur de la réalité, par peur des difficultés à faire faire les bilans, ou tout simplement parce qu’elles ne s’en rendent pas compte…

A la rencontre de Jean et Sarah

J’aimerais partager avec vous une situation qui a été pour moi très très importante, très forte en émotions et qui m’a amenée à demander de l’aide. 

Tout d’abord, je dois dire que j ‘ai vraiment eu de la chance d’avoir été accompagnée, guidée, soutenue par l’éducatrice de Jean, 2 ans et de sa petite sœur Sarah, 1 an. Cette éducatrice a su m’aider tout en prenant en compte le bien-être des enfants, en soutenant les parents et ce, toujours dans l’intérêt supérieur des enfants. 

 Tout a commencé quand je suis allée rendre visite à Jean et Sarah au foyer de l’enfance. Une préparation avait été mise en place, progressive, adaptée à chacun d’entre eux. 

Alors voilà, je vous présente Jean : petit bonhomme très fin, voire même menu, au regard coquin, yeux bleus lumineux, visage clair et fin, très tonique, aventureux, une démarche de petit charmeur, observateur mais aussi un peu fuyant parfois. 

Au tour de Sarah maintenant : un visage de nacre, paraissant dans son monde, des yeux d’un bleu profond, qui ne se posaient pas mais se perdaient dirigés vers le ciel, la tête s’inclinant légèrement. 

Au début, je me suis demandé si ces enfants avaient conscience de l’existence de l’autre.

A la maison 

Après une période d’échanges avec les professionnels de la pouponnière, l’équipe éducative, la psychologue, le service de Protection maternelle et infantile (PMI) et les parents, les enfants sont arrivés à la maison.

Malgré le temps du bain qui était source de stress pour lui, Jean a vite pris ses marques. Il aimait jouer, était attentif à nous, aux autres enfants, il aimait tout découper en petits morceaux et faisait des tas dans les coins de sa chambre ou de son lit. Comme il s’endormait très tard dans la nuit et qu’il avait besoin de se balancer pour s’endormir, il a fallu assez rapidement lui proposer un “lit de grand” à même le sol.

Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage (Le lion et le rat, Jean de la Fontaine)

Le repas

On m’avait dit que les deux enfants mangeaient sans problème.

Pour Sarah pourtant, c’était tout un univers ! Elle n’ouvrait pas la bouche pour la cuillère, tout contact avec un corps étranger l’effrayait.

Je me suis sentie un peu désarçonnée face à cette réalité, surtout que je n’avais pas été avertie.  J’ai repris contact avec la pouponnière et une personne m’a alors confirmé cette difficulté. Je continuais d’informer l’éducatrice de Sarah de la situation en même temps que je la découvrais…

Il m’a fallu trouver des idées : je lui parlais beaucoup, je restais près d’elle sans la toucher, je lui disais que j’attendrai son accord, que je ne la forcerai à rien, sans jamais la brusquer.

Dans ces moments-là, son regard se posait comme si elle prêtait attention à mes paroles, puis elle repartait dans “son monde”.

Lorsque je cuisinais, Sarah restait à mes côtés dans le parc. Debout, elle se déplaçait de gauche à droite, ses mains effleurant les contours du parc.

Je préparais divers aliments que je lui présentais sur une assiette, en vain. Sa bouche restait fermée, son visage inquiet. J’ai commencé par éviter les légumes très odorants. C’était un peu plus paisible, mais toujours rien, elle effleurait l’assiette et se reculait, l’air effrayé.

Puis j’ai essayé d’acheter des bols de couleurs pastels, en plastique «  chaud ». La première fois que je lui ai présenté un bol, Sarah n’a pas reculé, étonnamment. Elle s’est même approchée et a délicatement caressé le contour du bol mais… pas plus. Ensuite, j’ai tenté de lui présenter une cuillère en métal à café…rien. Puis une cuillère en plastique de tout-petit…toujours rien. 

Enfin, j’ai essayé avec une cuillère de poupon, une toute petite petite cuillère. J’ai laissé Sarah aussi libre de ses mouvements que possible, debout, sans même un bavoir qui risquait de la contraindre. Et là, du bout de ses doigts, elle s’est mise à caresser le bol, dans de petits mouvements circulaires.

Je continuais de lui décrire ce que je préparais, elle semblait écouter mes paroles, son regard tourné vers ma voix. 

Je lui ai alors présenté la toute petite petite cuillère. Et là, à ma grande stupéfaction, elle a ouvert la bouche, juste assez pour la cuillère qu’elle a accepté pour la première fois ! C’était notre première victoire, et en moi un grand bonheur a jailli, en même temps qu’un grand soulagement de pouvoir passer du biberon au repas. 

C’est ainsi que les choses se sont faites ! D’une façon particulière pour Sarah, toujours dans le respect de ce que son corps me disait, ses expressions,  sans jamais lui imposer quoi que ce soit.

Peu à peu, Sarah est sortie de ses habitudes et nous avons pu retirer la chaise haute,  désormais devenue inutile.


La première fois que j’avais vu Sarah à la pouponnière, elle n’avait pas une fois posé une main sur moi, même quand je lui avais présenté mes bras grands ouverts. Une fois à la maison, elle gardait ses petits bras en l’air quand je la portais, sans jamais prendre appui sur moi. Je pense qu’il a fallu presque un mois pour que Sarah pose ses petites mains flottantes sur moi, avec un petit air surpris et curieux…

Ce dialogue corporel a permis notre rencontre et par la suite, l’instauration de codes de communication :  dans le quotidien, j’ai appris à Sarah comment demander quelque chose en présentant l’image de l’objet à la place du mot. 

Le soir, Sarah venait chercher sa tétine. Je plaçais deux ou trois objets doux à proximité. Je crois qu’elle les regardait, s’en approchait puis s’en éloignait. 

Un jour j’ai changé l’un d’eux et j’ai mis un autre objet à la place, un objet qu’elle ne connaissait pas. Elle s’est avancée lentement, s’est approchée pour prendre son biberon et là, elle a franchement regardé les objets familiers avant de s’éloigner vers son petit fauteuil. J’étais heureuse, Sarah venait de me montrer qu’elle avait remarqué le changement ! Sarah est revenue sur ses pas, s’est arrêtée, a attendu un peu puis s’est approchée du nouvel objet, en a tracé le contour de ses doigt ans, d’abord sans le toucher, une fois, deux fois, s’est arrêtée, a recommencé…Je l’observais, ébahie.  Elle a regardé vers moi, j’ai essayé de la rassurer en lui disant que tout allait bien, que cet objet, une boule à neige bleue, était un jouet pour elle. Elle a marqué un temps d’arrêt, a fini par tendre la main et a saisi le jouet. Pendant plusieurs minutes, je me suis réjouie de la regarder faire tourner cette boule à neige devant son visage. 

Auprès de Sarah, j’ai beaucoup appris

que son rapport au temps n’était pas le même que le mien, que son toucher était plus subtil, qu’il était important de la laisser prendre l’initiative de toucher quand le moment était venu pour elle… J’ai également appris lors de moments quotidiens comme le bain, le change…Enfin, j’ai appris en l’observant se déplacer parmi les autres enfants, en l’accompagnant à exprimer ses émotions, ses demandes.

Ceci a été possible grâce à la prise en charge au CAMSP et le concours de deux psychomotriciennes, une psychologue, un pédopsychiatre, une orthophoniste… 

Accompagner Sarah, c’était aussi pour l’équipe de l’Aide sociale à l’enfance accompagner ses parents, qui avaient eux-mêmes des troubles et pour qui, voir les difficultés de Sarah était très éprouvant.

J’ai été marquée par cette belle aventure que je n’oublierai jamais et que j’avais envie de partager avec vous. 

Merci, petite Sarah.

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