La notion du droit à la compensation

La notion du droit à la compensation
04.11.2016 Réflexion sur Temps de lecture : 7 min

Marie-Hélène Boucand, déléguée du Défenseur des Droits propose d’appréhender la notion de compensation…

Extrait de son intervention à la journée d’étude « Enfance et handicap » (octobre 2016) dans la Drôme organisée par le Collège Coopératif Auvergne Rhône-Alpes, l’ESSSE, l’Association Une souris verte, l’ACEPP 38-73, les PEP 69.

La notion de compensation introduite dans la loi de 2005 sous ces termes :

Art. L. 114-1-1. − La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu’il s’agisse de l’accueil de la petite enfance, de la scolarité, de l’enseignement, de l’éducation, de l’insertion professionnelle, des aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaires au plein exercice de sa citoyenneté et de sa capacité d’autonomie, du développement ou de l’aménagement de l’offre de service, permettant notamment à l’entourage de la personne handicapée de bénéficier de temps de répit, du développement de groupes d’entraide mutuelle ou de places en établissements spécialisés, des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d’accès aux procédures et aux institutions spécifiques au handicap ou aux moyens et prestations accompagnant la mise en œuvre de la protection juridique régie par le titre XI du livre Ier du code civil. Ces réponses adaptées prennent en compte l’accueil et l’accompagnement nécessaires aux personnes handicapées qui ne peuvent exprimer seules leurs besoins.

Cette notion de compensation nous conduit à plusieurs remarques contextuelles. Elle fait suite à deux périodes de considération du handicap dans la société celle de la réparation puis celle de la réadaptation qui était centrées sur l’idée idéalisée et imaginaire de revenir à l’état antérieur à la survenue du handicap, les préfixes de ces deux périodes en RE illustrent cette notion.

Le contexte global de la mise en oeuvre de la compensation se situe dans le contexte de la Loi dite anti-Perruche de 2002 permettant aux parents d’un enfant avec un handicap « de réclamer une indemnité au titre de leur seul préjudice » en précisant que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ».

La mise en oeuvre d’une solidarité nationale (par la CNSA) ouvre la voie à celle d’une justice distributive[1] posant des critères universels et objectifs d’attribution selon chaque situation singulière. Cette conception appelant une classification de la gravité du handicap selon certains critères (définis dans le guide barème national) visait à traiter de manière égale toute personne ayant le même handicap dans sa vie quotidienne, malheureusement l’inégalité de traitement d’une même situation d’un département à un autre est encore trop fréquente.

La compensation est aussi à restituer dans une société où la notion de citoyenneté prend toute son ampleur, dans les suites de la seconde guerre, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme où dans son article premier « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Les notions de liberté et d’égalité de toute personne humaine, associées à celles de dignité et de droit sont les 4 principes majeurs de toute civilisation humaine. N’oublions pas que les personnes handicapées ont été elles aussi et de façon spécifique victimes de l’extermination. 275 000 enfants ou adultes affectés d’une déficience mentale ou physique furent assassinés dans le cadre d’Aktion T4, un programme terrible au nom de l’hygiène raciale, mis en œuvre par le Troisième Reich.

La notion d’égalité prend donc tout son sens et va se développer dans tous les champs. En 1982, les Nations Unies proclament une Décennie des personnes handicapées, qui s’est étalée de 1983 à 1992, dont le thème était «la pleine participation et l’égalité ». L’écriture d’un texte international était l’aboutissement de plusieurs décennies où les personnes handicapées sortaient de l’ombre, l’objectif du groupe était d’élaborer un texte qui garantirait la jouissance pleine et effective de tous les droits de l’Homme existants, et le développement social de la personne handicapée, assurant l’accès à tous ces droits tout en ne négociant aucun nouveau droit. Le texte devait par conséquent être basé sur la Charte des droits de l’Homme des Nations Unies, et ses traités spécifiques.[2]

Le texte de la convention internationale des personnes handicapées (CIDPH) est adopté le 13 décembre 2006. Il définit « par personnes handicapées… des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles, durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». La CIDPH a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées, sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap.Les principes généraux de la Convention (article 5) : Le respect de la dignité intrinsèque, de l’autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix, et de l’indépendance des personnes; La non-discrimination; La participation et l’intégration pleines et effectives à la société; Le respect de la différence et l’acceptation des personnes handicapées comme faisant partie de la diversité humaine et de l’humanité ; L’égalité des chances; L’accessibilité; L’égalité entre les hommes et les femmes; Le respect du développement des capacités de l’enfant handicapé et le respect du droit des enfants handicapés à préserver leur identité.

La convention est en application depuis 2008, signée par la France le 20 Mars 2010. Le survol rapide de cette convention, de sa signature éclaire à mon sens l’intitulé de la loi de 2005 qui est « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » qui reprend les grands principes de la convention signée l’année précédente par la France.

Le principe de compensation est alors institué comme un moyen de répondre à cette notion d’égalité des chances et de non discrimination.

Deux remarques nous semblent cependant nécessaires :

  • la compensation reste un moyen individuel pour accéder aux mêmes droits universels, elle n’est pas une fin en soi mais doit permettre à la personne en situation de handicap d’accéder à son égalité des chances vis-à-vis de tout autre citoyen non handicapé. Il est fondamental de ne pas prendre le moyen pour la fin et ceci est principe qui a régit depuis plusieurs siècles l’éthique et la morale. L’une des expressions du principe fondamental de l’éthique kantienne[3] est la suivante : « Agis de manière à traiter la personne d’autrui jamais seulement comme moyen, mais toujours en même temps comme une fin ».
  • La compensation est de ce fait jamais un dû en soi mais toujours un moyen pour dans une situation donnée, en fonction d’un handicap donné, et d’une personne donnée, lui permettre d’accéder à la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales.

[1] un bien commun par la contribution de tous, réparti selon les mérites de chacun # justice commutative équilibre par contrat de 2 personnes et leur biens respectifs

[2]www.hiproweb.org/uploads/tx_hidrtdocs/ComprendreLaCDPH.pdf

[3] Kant E., Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785

Extrait de l’intervention de Marie-Hélène Boucand lors de la journée d’étude « Enfance et handicap » le 13 octobre 2016 dans la Drôme organisée par le Collège Coopératif Auvergne Rhône-Alpes, l’ESSSE, l’Association Une souris verte, l’ACEPP 38-73, les PEP 69.

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