Retour à la maison avec un nourrisson trachéotomisé

Retour à la maison avec un nourrisson trachéotomisé
10.05.2022 Témoignages Temps de lecture : 12 min

L’association Fil d’Air a comme objectif d’aider les familles d’enfants trachéotomisés. Le retour à la maison d’un enfant trachéotomisé est une épreuve, les familles se sentent souvent bien seules voire incomprises, les gestes à acquérir pour sauver la vie nécessitent technicité, réactivité et sang froid. La fondatrice répond à nos questions et partage son expérience personnelle.

Une trachéotomie est une intervention chirurgicale visant à créer une ouverture dans la trachée. Cette intervention peut être consécutive à divers problèmes mais est notamment effectuée en cas d’obstacles anatomiques ou fonctionnels des voies aériennes supérieures.

En d’autres termes, une personne qui ne peut plus faire circuler suffisamment d’air par le nez et la bouche est trachéotomisée afin de pouvoir respirer.
Si vous voulez en savoir plus sur les spécificités de la trachéotomie en pédiatrie, consultez le site Fil d’air

Pourquoi est-il important de préparer le retour à la maison ?

La réalisation d’une trachéotomie chez un enfant est toujours, à ma connaissance, suivie d’un séjour en service de réanimation pédiatrique puis éventuellement d’un passage dans un service ORL permettant de faire la transition avec le retour à la maison. Il faut donc s’imaginer passer d’un accompagnement maximal, d’un environnement médicalisé à la solitude de la maison. Cela s’anticipe.

L’accompagnement technique de notre retour à la maison a été accompagné par un prestataire de service qui a installé le matériel nécessaire chez nous, en assure l’entretien et l’approvisionnement régulier : de l’oxygène (en cas de besoin), aux systèmes d’aspiration (principaux et portatifs), systèmes médicaux d’humidification, canules, sondes d’aspiration, filtres humidificateurs, colliers, compresses, compresses de trachéotomie. Nous sommes aujourd’hui satisfaits de notre livraison tous les mois qui remplit nos besoins mensuels en consommables que nous sommes parvenus à ajuster avec le temps. Notez que ce matériel est pris en charge par la Sécurité sociale. Pour toute difficulté d’ordre financier, il est également recommandé de prendre contact avec les assistantes sociales de l’hôpital.

Quels aménagements faut-il prévoir pour le retour à domicile ?

Nous avons organisé notre maison en fonction de la trachéotomie de notre fils, mais cela reste bien entendu un exemple, chaque situation étant singulière.
Les précautions maximales ont été prises car la trachéotomie a eu lieu le lendemain de sa naissance et nous sommes rentrés à la maison avec un nourrisson de 2 mois trachéotomisé. Les soins et l’attention que nécessitent une trachéotomie pédiatrique évoluent avec le temps : les besoins sont beaucoup plus fréquents et les gestes impressionnants sur un bébé de 2 mois que sur un petit de 2 ans.

Il convient avant tout d’anticiper le risque de décanulation ou de bouchon nécessitant une prise en charge extrêmement rapide. Notre enfant présentant également une trachéomalacie (lien vers explications), le changement de canule ne doit pas prendre plus de 3 minutes car il n’est pas en mesure de respirer sans canule « tuteur ».
Pour ce faire, nous avons équipé chaque pièce de la maison dans laquelle évolue notre enfant (cuisine, salon, chambres, salle de bain) du matériel suivant :

  • canule de secours (si l’emballage est trop compliqué à ouvrir, on peut déposer une canule dans une boite plastique même non stérile pour les urgences extrêmes)
  • collier
  • paire de ciseaux
  • sérum physiologique
  • filtres humidificateurs également appelés nez artificiels

Habitant une maison sur plusieurs étages, chaque niveau est équipé d’un « poste de soin », soit une table à langer, à proximité de laquelle se trouve un système d’aspiration portatif. Un tel poste a aussi été installé pour la nuit dans sa chambre. Au niveau de ces postes de soin, se trouve le matériel cité précédemment, ainsi que :

  • sondes d’aspiration
  • compresses
  • compresses de trachéotomie
  • canule de taille inférieure à la taille utilisée : il peut arriver qu’il soit très difficile voire impossible d’introduire la canule dans l’orifice en cas de décanulation. Afin de prévenir ce risque, il faut demander à la sortie de l’hôpital, à repartir avec une canule de taille inférieure à la taille de la canule de votre enfant pour mettre en place cette canule plus petite en cas de difficultés.
  • une petite serviette qui, roulée, sert de « billot » (la sémantique médicale est parfois vraiment mal à propos) : placée sous les épaules de l’enfant, elle sert à dégager le cou (très pratique pour les recanulations, les soins de trach, les aspirations délicates).

Par ailleurs, le grand ennemi de la trach est l’air sec. Car si les sécrétions sèchent dans la canule, qui fait 3 à 4 mm de diamètre pour les tout petits, alors cette dernière se bouche immanquablement. Les pièces de vie doivent être humidifiées en permanence. Nous avons donc investi dans des humidificateurs d’ambiance à grande capacité. Notre fils, jusque ses 12 mois, dormait (siestes et nuit) avec un masque positionné sur la trachéotomie relié à un système d’humidification. Depuis, nous avons installé un humidificateur médical pour qu’il soit plus libre de ses mouvements.

A noter que l’ensemble de ces conseils sont aussi vrais pour.. la voiture ! Du poste de soin, au matériel d’urgence en passant par l’humidificateur branché sur clé USB.

 

Quels sont les techniques et soins que les parents doivent connaitre ?

Il n’est pas possible pour la famille de quitter l’hôpital si les parents ne sont pas formés aux techniques de recanulation (nécessaires en cas de bouchon ou de décanulation), d’aspirations endotrachéales (qui consiste à aspirer, via une sonde et un appareil d’aspiration, les sécrétions que l’enfant ne peut extraire via le nez ou la bouche) et aux « soins de trach » quotidiens.

La recanulation est sans doute le geste le plus invasif et le plus impressionnant. Il faut être en capacité d’enlever la canule (en cas de bouchon), de couper le collier et d’introduire une nouvelle canule dans le trachéostome (l’orifice réalisé dans la trachée), puis remettre un collier. La canule étant un tube en silicone mou qui oblige à l’utilisation d’un mandrin à positionner dans la canule avant recanulation. Enfin, dans la littérature car il m’est arrivé de ne pas avoir le temps d’utiliser le mandrin lors de recanulation urgente.

J’ai pu observer que le rythme des aspirations endotrachéales était très variable suivant l’âge de notre enfant. A 2 mois, nous devions faire des aspirations en moyenne toutes les 2 heures, nuit et jour. A 2 ans, il y a 1 à 2 aspirations par nuit, et celles de la journée sont essentiellement concentrées autour des repas et des réveils. Elles s’intensifient néanmoins en cas d’encombrement de la sphère ORL. C’est pourquoi nous sommes particulièrement attentifs au risque infectieux.

Les « soins de trach » quotidiens consistent à changer la compresse de trachéotomie et à nettoyer le trachéotosme. L’ORL peut vous conseiller sur les produits à utiliser.

Malheureusement, l’ensemble de ces gestes, je les ai appris directement sur mon fils, pendant notre séjour en réanimation, entre son premier jour de vie et ses 2 mois. Les enfants qui rentrent avec une trachéotomie au domicile sont rares (la trachéotomie étant censée être une réponse à court terme dans la majorité des situations) et les hôpitaux n’ont pas les moyens ou la volonté d’investir dans des mannequins qui permettraient aux parents d’acquérir ces gestes ailleurs que sur leur propre enfant.

De ce douloureux constat est née ma volonté de créer l’association Fil d’Air pour venir en aide aux familles d’enfants trachéotomisés avec comme premier objectif celui d’acheter des mannequins pédiatriques trachéotomisés qui seront livrés à chacun des 16 CHU de référence pour les maladies ORL rares. Ces mannequins seront alors mis à disposition des familles qui en éprouveraient le besoin, pendant leur séjour hospitalier avec la possibilité de l’emporter une semaine à domicile, afin que chaque membre de la famille puisse s’entrainer aux gestes d’aspiration et de recanulation. A son rythme, sans pression et autant de fois que nécessaire.

 

Quels conseils donnez-vous pour le quotidien : installation, lit, bain, repas…. ?

Nous avons choisi d’installer un lit accompagnant dans la chambre de notre fils et il ne reste jamais seul pour dormir. Cette particularité tient de notre histoire. Les médecins réanimateurs n’ont pas souhaité nous faire rentrer à la maison avec un saturomètre, privilégiant notre capacité à reconnaitre les « signes cliniques ». Pour être plus explicite, le risque, avec la trachéotomie, c’est que l’enfant ne puisse plus respirer. Donc, les signes cliniques à surveiller sont un « tirage » excessif (un ventre qui se creuse trop profondément à l’inspire) et … un changement de couleur des lèvres, des marbrures… et ce, 24/24h. Nous avons donc fait des rondes la nuit pour surveiller la respiration de notre entant. Et l’habitude étant prise, c’est toujours le cas aujourd’hui.

Cependant, je sais que d’autres hôpitaux, beaucoup plus attentifs aux problématiques de retour à la maison, équipent de facto les enfants d’un saturomètre, réglé correctement pour qu’il ne bipe pas à la moindre occasion et ajoute du stress au stress. C’est vraiment une question de bon sens et je ne saurais qu’encourager les parents à en faire la demande en se référant à ce qui est recommandé dans nombre de CHU. Je n’avais pas cette connaissance à l’époque et elle m’aurait été bien utile. Car le sommeil des premiers mois est rendu extrêmement compliqué (encore aujourd’hui) par une vigilance extrême : le fait de pouvoir compter sur le soutien d’une machine n’est pas négligeable.

Un autre grand ennemi de la trachéotomie : l’eau. La trachéotomie étant directement reliée à la trachée et aux poumons, rien ne doit être introduit à l’intérieur… et l’eau aurait tendance à être la plus sournoise.

Pour le bain, nous avons fait le choix d’une baignoire thermoformée sur pied, notre enfant prenant tous ses bains assis, avec seulement une vingtaine de centimètres d’eau dans la baignoire (jusqu’aux hanches), ce qui ne l’empêche pas d’y passer des heures à s’amuser. Un des parents est naturellement toujours présent et nous faisons souvent une aspiration avant le bain, très souvent aussi une pendant (l’appareil d’aspiration est donc a côté de la baignoire). Nous avons retiré les jeux qui éclaboussent  et utilisons une éponge pour laver notre enfant, y compris ses cheveux, sans nous approcher de la trachéotomie.

D’ailleurs, la compresse étant toujours mouillée à l’issue du bain, il faut prévoir de la changer avant d’enfiler un vêtement sec. Les hôpitaux recommandent également le changement de collier mais nous ne le faisons pas en sortie de bain.

Quant à la boisson, nous avons jeté notre dévolu sur une tasse avec une paille recommandée par notre orthophoniste. Non seulement elle évite les débordements mais elle permet de solliciter les muscles de la bouche.

Alors que notre enfant ne supportait pas le « nez artificiel » pendant les premiers mois de vie car cela lui demandait un trop grand effort notamment à l’inspire. Il fallait donc redoubler de vigilance car l’orifice était « à nu ». S’il faut toujours être très attentifs à ce moment de bain et d’alimentation, le nez artificiel apporte une protection supplémentaire.

Coté habillement, notre fils ne supporte pas ce qui se rapproche trop de la canule, comme les capuches ou les bavoirs. Tous ses vêtements sont ouverts au maximum à l’encolure : vêtements boutonnés sur le devant, gilets plutôt que pulls, ou pulls très souples, et bien sûr, aucun habit qui obstruerait la canule (type écharpe, cagoule, col roulé).

Pour ce qui est des jeux, nous n’avons aucune limite sauf l’eau, le sable et les espaces poussiéreux. Je ne fais plus non plus de feu dans la cheminée pour deux raisons : assèchement de l’air et particules volatiles.

Dans ce contexte, comment se crée la relation entre frère et soeur ?

Notre fils a une grande soeur de presque 10 ans son ainée. Elle n’a été autorisée à le voir qu’une seule fois en réanimation mais a pris la mesure, à cette occasion, de la fragilité particulière de son frère. Nous l’avons associée à tous les gestes médicaux lors du retour à la maison. Les enfants ont cela d’extraordinaire : si elle avait parfaitement conscience du handicap, elle n’a jamais cessé de le considérer avant tout comme un frère, de lui faire faire des pirouettes, de le faire rire aux éclats (je vous laisse imaginer quelle force il nous fallait pour ne pas intervenir à cause du risque de décanulation). Il n’empêche que le petit, qui était très éteint dans sa chambre de réanimation, a commencé à prendre confiance et s’est développé de manière extraordinaire à la maison, a rattrapé en 2 ans toutes les courbes et les risques de mauvais développement psycho moteur sont aujourd’hui écartés.

Pour la famille néanmoins, et sa sœur en particulier, le temps est long. Il n’est pas évident pour elle, comme pour nous, de considérer que cette trachéotomie va faire partie de notre quotidien pour plusieurs années.

Je lui réserve des temps exclusifs quotidiens, et pas seulement autour du travail scolaire, afin de profiter de parenthèses d’attention maximales.

Ce qui nous fait tous tenir ? Observer les progressions de notre fils, de notre frère : l'entendre rire, chanter, le voir danser, grimper partout, dérouler le papier toilette, sortir tous les livres des étagères, vider les placards, se prendre pour un lion... Au final, nous nous disons que soit la différence est partout, soit il n'y a de différence que celle que l'on nomme.

Retour aux articles de la rubrique « Soins médicaux »

Mots-clés :

Aller au contenu principal