Une quarantaine de jours de quarantaine

Une quarantaine de jours de quarantaine
30.04.2020 Témoignages Temps de lecture : 9 min

Une quarantaine de jours de quarantaine…
et la colère qui monte qui monte.

Titouan est atteint d’une MPS2, maladie génétique, rare, dégénérative, grave, que d’adjectifs pour qualifier cet atterrissage malheureux de la grande loterie de la vie.

Gros troubles du comportements et fragilité pulmonaire (et j’en passe), données de base déjà antinomiques au principe du confinement. En appartement. Non pas grand. Non pas d’isolement possible pour souffler…Ah oui et hôpital une fois par semaine nécessaire, sans compter une mère angoissée à tendance hypochondriaque…On est bons.

 

Mais allez vous aérer, sortez-le me répondrez-vous comme beaucoup.

Oui mais il est à risque et il met tout à la bouche, ses mains, en premier lieu, constamment, il les mâche. Je lui mets des chaussettes aux mains 24 sur 24 et il les goûte aussi régulièrement.

Il esquive quand on le tient, avec une force de Titan, de Titouan, car il n’y en a qu’un comme lui, qui peut juger ?

Et puis quand on croise quelqu’un et dieu si cela arrive souvent, il n’a qu’une envie c’est aller lui attraper les mains. Heureusement que les gens fuient d’eux même souvent quand ils le voient venir. En temps normal, ça m’aurait fait très mal.

 

« On va y arriver, on va y arriver », me suis-je répété comme un mantra au début. Allez, ce sera comme enchaîner plein de samedi-dimanche, on a l’habitude nous de ne pas sortir, les restaurants, les bars, le ciné ?…on ne peut pas y aller. Je goûtais presque la petite satisfaction égoïste de ne plus me sentir lésée, à part, empêchée de ma liberté. Finis les collègues qui le lundi matin te racontent bronzés leur week-end à la montagne, leurs soirées, leurs spectacles alors que toi tu vis ton moment de loisir le meilleur à la machine à café dès 9h le lundi matin.

10 jours passent, ne voit-on rien venir ? L’IME n’appelle pas, la page Facebook de Sophie Cluzel promet une considération de nos cas. Laissons du temps au temps, la situation est exceptionnelle, chaotique et expérimentale pour tous. Rien ne me choque.

La question pour nous ne se pose pas. Nous avons la ferme volonté de continuer à télétravailler à plein temps tous les 2. Chouchouter cette petite bulle d’oxygène habituelle du travail. Oui mais voilà que ce satané préfixe télé vient tout gâcher, piquant sans vergogne la bulle qui éclate à notre barbe nous éclaboussant au passage d’une charge mentale décuplée.

Pas d’espace pour s’isoler, les cris de Titouan qui ne supporte pas que l’on s’intéresse à autre chose qu’a lui, les Tchoupis qu’il nous colle en permanence sur le clavier. Les « Monique Monique, Pingouin, Poney… » et autre écholalie qu’il répète inlassablement en toile de fond, transformant nos conférences téléphoniques en session de sensibilisation au handicap pour la plus grande stupeur de mes collègues qui en plusieurs années n’avaient pas capté.

Et puis les devoirs pour sa soeur, les repas sains et vitaminés en cette période contaminée à préparer, le ménage et les virus à éclater mentalement à coup de serpillière.

Très vite, enfin après maintes audiences et tergiversations avec moi-même, nous avons fait appel à notre nounou habituelle. Peser le pour et le contre entre diminuer la pression de la cocotte-minute mais s’exposer potentiellement ou rester bien confinés protégés mais perdre sa santé mentale, dégrader un peu plus son couple et autres dommages collatéraux.

C’est quoi l’expression déjà : Choisir entre la peste et le choléra ? Choisir entre le funeste et le corona ?

Cette nounou est arrivée comme une fée, prenant toutes les précautions, allant même jusqu’à se faire prêter un appartement pour être seule une période où son mari n’était plus confiné pour son travail.

Nous avons donc tenu comme cela, étant malgré tout parfois 10 jours sans son aide, le maximum de notre record du monde sans tomber dingues (quoique) pour respecter les délais d’incubation de la maladie lorsque son mari allait travailler.

Notre qualité de vie de famille suspendue aux faits et gestes de cet homme travaillant à la SNCF qu’on aurait bien refichue en grève pour le coup !

Au 10ème jour, l’IME se manifeste sous la forme d’appels d’une psychologue. Je suis contente, je me sens comprise, je peux me plaindre librement à une oreille compatissante. Les appels reviennent sans faute, les lundis, mercredis et vendredis.

Oui mais voilà très vite, cette discussion unilatérale ou les chroniques larmoyantes d’une aidante en confinement ne me vont plus du tout.

J’ai besoin qu’on me propose des solutions !

Je veux accéder aux promesses de Madame Sophie Cluzel, je veux, je veux : ses jolis mots qui sonnent comme des jardins dans mon appartement de ville : répit en pied d’immeuble, répit dans la structure, prise en compte individuelle des situations difficiles !!

L’impression de lever le doigt de toutes mes forces comme les enfants à l’école mais ce n’est jamais mon tour. Alors je ne décroche plus à la gentille psychologue. Si elle veut du pathos de famille comme la mienne, il y en a à la pelle sur Facebook, prière de me téléphoner qu’avec une solution dans sa musette.

Je sais que ce n’est pas chose facile. Les gestes barrière ? Titouan fait barrière contre. Les mesures de distanciation ? se coller à toi c’est sa communication. Et puis il y a sa fichue maladie qui rôde et chasse un peu plus le répit de notre vie.

Alors on commence à aller moins bien. Ne vous vexez pas madame la psychologue, il n’y a pas qu’à vous que je ne réponds pas. Quel intérêt ? Raconter une saga pleine de sacs de noeuds sans qu’un quelconque héros ne résolve la moindre petite énigme…Dire comme mon homme « ah oui ça va bien oui oui » ce qui me fait bondir et ne va pas dans le sens de la paix des ménages…
Autant ne rien dire et courber l’échine pour avancer jour après jour avec ma cuirasse, mes douleurs qui viennent traduire toutes les émotions non dites et le sentiment de traverser un désert où comme dans les rêves on crie à l’aide sans que le moindre son ne parvienne à sortir de la gorge.

Et puis, il y a peu, un horizon se dessine. Multiples appels, multiples interlocuteurs : serions-nous d’accord que Titouan soit accueilli une journée pour commencer dans son centre habituel, tout seul sur place avec une éducatrice qui le connait bien. Un taxi qui viendrait le chercher chez nous, désinfecté, avant après, chauffeur masqué, gel hydroalcoolique à volonté !

Sur le papier, après avoir consulté mes angoisses et mon besoin de répit, c’est OUI. Réponse qui vient effacer le rêve en une minute chrono : Ok super on va monter un dossier en ce sens pour l’ARS.

Musique angoissante : voici venir le personnage noir de l’intrigue. Car si l’IME comprend notre situation, la suit en temps réel et a l’envie sincère de nous aider, l’ARS elle depuis son télébureau, télédécide ce qu’elle va accorder aux téléfamilles qui se téléplaignent comme la notre.
Pardonnez ma culture cinématographique pourrie (oui j’ai déjà dit qu’on pouvait jamais sortir au ciné) mais cela me fait penser à une réplique de la Cité de la peur (en même temps c’est plutôt pertinent en ce moment) : « qu’est-ce qu’elle y connait l’ARS aux handicapés ? réponse…RIEN ! »

Car le verdict tombe par le biais de la directrice de l’IME désemparée et bien en peine de justifier une pareille connerie :

Titouan peut être accueilli à l’IME mais il n’est pas autorisé à entrer à l’intérieur !

Oui vous avez bien entendu. Il sera dans la cour. Autant dire que la journée n’est plus d’actualité et se réduit subitement comme peau de chagrin à 2h ! 2h de répit au bout de 43 jours sans aide.
Ben oui parce que nos décisionnaires de l’ARS ils savent que Titouan il ne joue pas, ni au foot, ni aux jeux extérieurs, il n’aime d’ailleurs pas rester dehors car il a besoin de se sentir contenu.

Et puis nos décisionnaires ils savent aussi qu’avec leur couperet, ils suspendent notre droit à répit à…la météo ! Cherchez l’erreur : il sera le seul enfant dans la structure, la salle sera désinfectée avant, après, l’éducatrice masquée, gantée, testée…Qu’on me donne une explication entendable s’il vous plait.

On y est à ma colère qui monte, monte

et à la raison de ce texte qui sort fébrilement pour orienter le trop plein vers les vrais responsables et non pas vers mon mari ou autre victime facile à portée de main qui raflerait la mise accumulée durant toutes ces journées (qui rafle peut-être déjà un peu quand même).

Comme le stipule la définition : les risques générés par une atmosphère confinée, privée d’oxygène sont bien réels, graves, explosifs.

Notre fée nounou apporte évidemment de l’oxygène mais que nous payons à prix d’or, la jauge d’oxygène étant directement et inversement reliée au compte en banque. Peu importe, nous avons l’immense chance et reconnaissance de toucher nos 2 salaires en cette période mais qu’en est-il des familles qui n’ont pas cette chance ? Où trouveront-ils les euros pour payer les 160 heures de présence nécessaire du mois d’avril ? Faudra t’il remplir un dossier en chinois administratif de 147 pages au prix du sacrifice de plusieurs soirées pour finalement avoir un dénouement aussi brillant de perspicacité de la part de l’ARS ou autre MDPH ?

Une quarantaine de jours aujourd’hui, la quarantaine pour moi dans quelques jours aussi.*

La peur de voir le déconfinement suspendu à des décisions implacables dénuées de finesse, d’humanité sous prétexte de prendre zéro risque.

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