Femme, mère, aidant familial… condamnée à ne pas travailler ?

Femme, mère, aidant familial… condamnée à ne pas travailler ?
04.12.2018 Témoignages Temps de lecture : 6 min

Je suis comme beaucoup de femmes de mon âge, une mère. Mais je suis aussi ergothérapeute, kinésithérapeute, ambulancière, infirmière, institutrice, éducatrice spécialisée, secrétaire. Malgré ces différentes casquettes, je suis une sans emploi.

J’aimerai apporter mon témoignage de maman d’une enfant porteuse d’un handicap physique. Je m’appelle Anne-Sophie, j’ai 28 ans, et je suis la maman de Nina & Valentin, nés en octobre 2015 à seulement 29SA. Aujourd’hui, Nina porte de nombreuses séquelles physiques de cette naissance prématurée.

Aujourd’hui j’ai 28 ans, je suis comme beaucoup de femmes de mon âge, une mère. Mais je suis aussi ergothérapeute, kinésithérapeute, ambulancière, infirmière, institutrice, éducatrice spécialisée, secrétaire. Malgré ces différentes casquettes, je suis une sans emploi. Condamnée par la vie, la malchance, à ne pas travailler, à rester les doigts croisés, à dépendre financièrement de mon mari, de l’AEEH, du pôle emploi. J’ai dit au revoir à une partie de ma vie de femme.

Aujourd’hui j’ai traversé la rue, je suis allé voir de l’autre côté comment s’appelait cet étrange emploi qui prends 100% de mon temps, de mon énergie, de mes compétences, on m’a parlé d’aidant familial. Alors j’ai regardé comment c’était évalué, j’ai demandé ce qu’il se passerait si le pire arrivait à mon mari, et comment je pourrais déclarer ça le jour où je devrais prendre ma retraite, on m’a simplement répondu que j’étais mère, mère d’une enfant handicapée.

Ce jour là j’ai dit au revoir à ma dignité. J’ai compris que je n’étais plus une femme, ma fille n’était pas une enfant. Nous étions son handicap.

Aujourd’hui j’ai espéré que la société serait plus inclusive, j’ai fait les démarches auprès de la MDPH, j’ai dû évaluer 9 mois avant la rentrée, ce que les médecins étaient incapables de prévoir, j’ai dû cocher des cases pour remplir les besoins de ma fille, son évolution future, son taux d’incapacité pour les 3 ans à venir. J’ai reçu une notification d’AVS, 24h, un temps complet, j’ai enfin cru que la société s’ouvrait à nous. « Ridicule pour une petite section » selon les mots du rectorat. Cette ouverture vers le monde extérieur, cet inclusion tant espérée, cette porte s’est fermée le jour de la rentrée, quand l’AVS promise n’était finalement là que 12h, 2 jours par semaine. Ma fille s’adapte, en 2 jours elle fait ce que les autres font en 4. Parce que c’est comme ça, mon enfant de presque 3 ans doit s’adapter à cette société qui la rejette, à cette société qui l’handicape bien plus que sa triplégie.

Aujourd’hui, j’ai calculé. J’ai regardé combien ça me coûterait une assistante maternelle pour palier au fait que ma fille ne puisse pas aller au périscolaire, à l’étude, à la cantine…près de 600€ par mois. J’ai cherché une assistante maternelle adaptée au handicap de ma fille, avec une voiture dans laquelle son fauteuil rentre, dont la santé lui permet de porter très régulièrement une enfant de près de 15kg, dont la résidence lui permet d’accueillir ma fille et son matériel. J’ai cherché une assistante maternelle a qui le handicap ne faisait pas peur. Aujourd’hui, j’ai cherché l’introuvable.
Aujourd’hui, j’ai cherché une solution alternative. J’ai contacté une de ces entreprises qui propose la garde d’enfant à la maison, j’ai coché la case « mon enfant est porteur d’un handicap », j’ai vu la facture gonflée de plus de 250€ par mois. J’ai retenue ma respiration quand j’ai entendu le verdict : 4000€ par mois. On m’a vendu le crédit d’impôt…j’ai demandé comment je faisais pour avancer autant d’argent tous les mois alors que c’était loin d’être mon salaire. On m’a expliqué que la MDPH pouvait prendre en charge une partie de mes frais de garde.

Alors aujourd’hui, j’ai compté, j’ai compté ce que je faisais économiser à la sécurité sociale en prenant en charge moi-même ma fille. A raison de 2 allers retours par semaine à son centre de soins, et au vu du remboursement des trajets en ambulance, c’est plus de 300€ par semaine, plus de 16 000€ par an. En retour, je touche un complément d’AEEH, ce complément la MDPH l’a estimé à 265€/ mois, soit 3180€/an.

12820€. C’est le montant que je fais économiser tous les ans à la société. Et on ose encore me faire croire que l’inclusion de ma fille coûterait cher. Combien de parents font économiser autant voir plus ? Combien font le même choix que moi?

Aujourd’hui je ne suis pas une mère perdue face à ce handicap, je ne suis pas fatiguée par le poids du handicap, je ne suis pas dans le déni, je ne suis que colère. En colère contre tant d’injustice, en colère que le handicap, l’état de santé de ma fille, ne soit pas ma seule préoccupation, en colère que chaque démarche soit un combat, en colère qu’on me méprise, en colère qu’on essaie simplement de cacher ma fille, parce que les problèmes qui ne se voient pas n’en sont pas vraiment.

Aujourd’hui, une fois de plus je mets ma dignité de côté, je m’exhibe, je dévoile mon histoire, son histoire, l’histoire de notre famille, mais aussi de celle de tant d’autre, pour sensibiliser, pour toucher, pour prouver qu’on existe, nous aidant, eux aidés. Pour montrer qu’on est là.

Aujourd’hui, elle a 2 ans et demi, elle s’appelle Nina, elle est pleine de vie, d’espoir en l’avenir, elle est épanouie.

Aujourd’hui, j’ai traversé la rue pour trouver un travail, mais je me suis faite écrasée. Aujourd’hui j’ai cru qu’une société plus inclusive était l’avenir, j’ai cru que notre gouvernement en était conscient. Aujourd’hui 70 députés ont décidés que la scolarité de 340 000 élèves n’était pas une priorité. Aujourd’hui j’ai compris que l’avenir de ma fille, et de tout ces autres enfants porteurs de handicaps, n’était qu’un caillou dans la chaussure du gouvernement. Aujourd’hui j’ai compris à quel point j’étais méprisée, à quel point elle était méprisée, à quel point son AVS, son institutrice étaient méprisées.

Aujourd’hui, les mots d’un député résonnent en moi, « ce vote vous collera à la peau ». Vous, Damien Adam, Jacqueline Dubois, Annie Vidal, Brigitte Kutser, et tous vos collègues, un jour ces enfants pourront être vos enfants, vos petits-enfants, un jour vous comprendrez, et enfin vous aurez honte, comme certains ont eu honte.

Aujourd’hui elle a presque 3 ans, elle n’a pas choisi son handicap. Nous non plus.

On demande juste à ce qu’elle soit entendu, que les places en CAMSP soient plus nombreuses, les délais réduits, que les professionnels de santé soient écoutés, choyés, respectés. On demande que nos AESH, nos AVS, soient respectés, entendus, qu’il.elles aient un statut en rapport avec leur charge de travaill. On demande à ce que le handicap devienne enfin une priorité de notre société, et que le statut d’aidant existe enfin, qu’on puisse vivre dignement en prenant soin de l’avenir de nos enfants, mais de chacun d’entre nous, puisque l’avenir c’est aussi nos enfants.

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