Bébés et jeunes enfants en difficulté de communication (suite)

Bébés et jeunes enfants en difficulté de communication (suite)
24.01.2012 Réflexion sur Temps de lecture : 14 min

En « communication alternative et améliorée » (CAA), on propose deux grands styles de moyens supplétifs : les images et les signes.

Un bain de langage trilingue : parole, signes et images !!!

 

Vous pouvez lire le début de l’article sur les Bébés et jeunes enfants en difficulté de communication.

La communication est par nature multimodale, joignant le geste à la parole, et la désignation d’objets et d’images pour préciser les choses et les actions… Les librairies sont d’ailleurs pleines de livres débordant de créativité pour proposer aux enfants des images de tout style qu’ils regardent avant de pointer, et sur lesquels notre plaisir à raconter s’appuie.

Un bain de langage naturel propose un environnement émulateur de situations de communication (le bébé entend qu’on parle et qu’on lui parle) ainsi qu’un environnement modélisateur de langage (le bébé voit comment on utilise le langage oral).

  • Qu’apportons-nous à cet enfant particulier qui ne développe apparem- ment pas son babillage ou ses interactions normalement, comme bain de langage approprié pour qu’il développe les bases de la communication ?
  • Notre langage oral est-il suffisant pour lui faire vivre et lui montrer des stratégies de communication ?
  • Sur quoi va-t-il se baser pour développer des compétences communicationnelles, lui qui a peut-être une déficience motrice, intellectuelle ou sensorielle ?

Pour enrichir le bain de langage oral trop restreint et pas assez « nourricier » pour ce bébé, il nous revient de proposer une nourriture langagière sup- plémentaire, à travers d’autres canaux pour faciliter et renforcer sa compréhen- sion du monde : un bain de langage supplétif et alternatif.

En « communication alternative et améliorée » (CAA), on propose deux grands styles de moyens supplétifs : les images et les signes.

Le projet sera toujours pour l’enfant jeune d’accéder au langage oral ou d’utiliser la CAA dans son expression, de façon individualisée et adaptée à ses capacités.
Cette démarche associée à la notion de modélisation, devrait nous amener à recourir systématiquement à des images et des signes ajoutés dans le discours avec le bébé pour communiquer avec lui.
En pratique, il nous faut y « mettre les mains ». Même si le bébé com- prend, il a besoin qu’on lui montre comment ce qu’il comprend peut être dit. Il est donc de la responsabilité de l’aidant de désigner et signer en même temps qu’il parle.
Il est nécessaire de préciser qu’aucune démarche de communication signée ou désignée n’a jamais empêché aucun enfant d’accéder à la parole, au contraire : se sentant mieux compris et écouté, l’enfant en difficulté trouvera plus facilement le chemin vers le mot parlé s’il le peut.
Il s’agit d’abord de lui expliquer le monde, de faciliter sa compréhension des choses, des rythmes, des gens, en lui proposant sur le versant réceptif un langage oral et multimodal. Il bénéficiera ainsi de modèles différents, pour qu’il exploite le meilleur canal possible pour lui.
Tout ce qui va suivre peut être désigné par l’adulte modélisateur, en même temps que « parlé » et « signé ». Non pas en introduisant une langue des signes comme celle des sourds, mais plutôt un « surlignage », une mise en valeurs des « mots-balises » les plus importants, appartenant aux routines quo- tidiennes.
Encore faut-il que les images soient à disposition…
Dans cette approche, ce sont les personnes proches, les accompagnateurs, qui auront d’abord besoin d’aide technique et d’utiliser quelques signes, au bon moment, au bon endroit et à de nombreux moments de la journée. C’est l’envi- ronnement qui doit les offrir.

Les signes, eux, ont l’avantage d’être toujours disponibles, dès lors qu’on en connaît quelques uns… En revanche, comme la parole par rapport à l’écrit, les signes s’envolent et les images restent… Les images sont un meilleur moyen de garder une information longtemps, y revenir, alors que les gestes sont parfois mal perçus car fugitifs, et jamais complètement les mêmes, moins stables, moins invariants.
Dès que nous nous adressons au jeune enfant, au quotidien et sans apprentissage en amont, nous pouvons rendre accessibles les informations de base qui le concernent : explications concernant sa vie, les personnes qu’il croise au cours de la journée, les différents moments de la journée, etc.
En pratique, il s’agit donc d’avoir à disposition des images et d’adopter une parole renforcée par leur désignation et les signes : images mobiles, posters à désigner, décorations, tableaux thématiques ou tableaux d’activités, tableaux de photos. On peut recourir dans cette perspective à des images, mais aussi à des objets tactiles, qu’il faut déplacer, décrocher et raccrocher, transporter avec soi, etc.

Manipuler concrètement les images permet de « contenir » dans la pensée les concepts représentés.

 

Quelles images, quels signes, quels outils, pour quels concepts ?

Tous ces outils et objets proposés ci-dessous sont à manipuler, bouger, échanger, donner, prendre, accrocher, décrocher, en même temps que signés : ils sont à « mettre en scène » pour que vive le langage, que le langage soit «joué »!

Manipulés si besoin avec guidance : main tendue avec guidance, main ouverte avec aide, tête orientée avec encouragements manuels, tout peut être fait pour permettre de sentir l’initiative du geste, le mode d’emploi de ces objets au plan moteur et proprioceptif, tout autant qu’au plan linguistique.

Les personnes et les lieux : en photos, dessins, signes

Ce sont les mots les plus porteurs de sens, ceux avec lesquels on fait le fil de la journée, on organise la vie … « Tu vas voir Bernard, puis je te laisse avec Jacqueline et après on va à la maison… ». Dans cette phrase, les personnes et les lieux sont plus informatifs que « voir », « laisser » ou « aller »…. Ce sont également avec ces concepts là que l’on cherche un contexte, un bout d’histoire pour éclairer une information indistincte :  « ça s’est passé avec qui, Jacqueline, (Oui / Non), Bernard (Oui, Non) ? » Il est facile de toujours emporter avec soi un petit album pour montrer de qui on parle, ou où l’on va.

Objets réels et objets-références

Dans la situation naturelle, l’objet réel est désigné, avant, pendant, après l’action, en renforcement du mot en « mamanais ». Les objets réels et des objets-références fabriqués, viendront prendre la suite de ce comportement réservé au bébé non parlant, auprès de l’enfant qui n’accède pas au langage oral. Il ne s’agit que de mettre un peu d’emphase ou de poursuivre plus loin dans le temps ce qu’on fait déjà avec un bébé : communiquer par l’objet. Ils seront montrés dans deux buts : l’aider à comprendre et se représenter les intentions et les évènements, l’inviter à passer à l’action, et éventuellement plus tard, l’aider à exprimer ses propres désirs et intentions. « Biberon, couche, doudou, eau, chocolat ou voiture, chat et avion, encore, fini, etc. », tant de mots adressés dès le plus jeune âge au bébé au cours de la journée, qui n’attendent qu’à être désignés et signés !

En matière d’objets-références, aucun système standard n’existe puisque l’objet-référence, pour devenir signifiant, doit « coller » au plus près de la réalité de l’enfant. Les objets seront choisis en situation concrète, pour représenter cette situation.

Tel jouet de bain en plastique ou le gant de toilette va représenter le bain, tel morceau de la crinière en laine, le cheval à bascule, une savonnette (texture et odeur) le moment de se laver les mains…
Ils seront présentés à l’enfant avec le signe, mis dans la main, dans un premier temps pour lui signifier l’activité à suivre, en lui laissant suffisamment de temps pour toucher, explorer, regarder, mimer avec lui, intégrer cet objet dans une anticipation mentale de l’activité proposée.

La présentation systématique et répétée des objets-références nourrit la communication et la symbolisation en proposant un lien signifiant-signifié. Une partie de l’objet peut représenter le tout (lien métonymique), ou le lien sera contextuel (petite cuillère pour le repas).

L’identité personnelle, identité des autres : cartes et photos…

Pour soi même : identifier sa propriété, ses affaires… . Placer sa photo, repérer sa place avec sa photo sont autant d’occasions de faire le lien entre un cadre de vie régulier (à table, son porte-manteau) et une symbolique retrouvée ailleurs.
Pour tous dans l’idéal : badges personnels avec photo. Chaque personne de l’entourage proche pourrait se voit attribuer une carte de communication avec photo + signe. L’utilisation de ces cartes au quotidien permet de nommer tous les acteurs, de se souvenir de leur signe, de le refaire devant le modèle.
Lors du rituel d’accueil, si l’enfant va à la crèche ou en maternelle, le déroulement de la journée est présenté, avec information sur les présences et absences. L’utilisation quotidienne et régulière de ces cartes permet de s’imprégner du symbole des personnes en question et de mieux appréhender son environnement (présence, absence des référents, groupe).

Si absence, c’est l’occasion de créer le signe de l’absence, ainsi expliquée et non plus subie. Pictogramme de l’absence accolé près de la photo de la personne absente. Ou photo retournée.

Les lieux fréquentés, les pièces, la signalétique

Nommer les personnes mais également les lieux de façon systématique : signalétique sur photos utilisées au quotidien. Les représentations ainsi mises à disposition sur les portes ou les fléchages permettent en entrant dans un espace de pointer la photo, de signer en nommant cet espace.

Le temps

Représenter le temps sans pour autant vouloir l’organiser, comme une succession de points de repères : personnes, lieux, activités, objets utilisés, objets-références, autant de portes d’entrée dans la représentation du vécu.
Les premières notions seront « maintenant » et « après ». On demande tout le temps à un bébé « d’attendre » ! Attendre, pour avoir, « après » !
Le déroulement du temps, par activité, par journée, n’est pas à introduire d’emblée. Il sera exploité un peu plus tard, dans le même but que la signalétique : soutenir la verbalisation par la désignation d’images et du signe, en situation vécue …Un calendrier personnalisé devant lequel tous les matins l’enfant pourrait ainsi prévoir avec une main aidante et « signante » les moments de la journée, les évoquer à l’aide d’objets-références, de mimes, de signes, de photos voire même de pictogrammes, les placer dans l’ordre chrono- logique sur une surface prévue à cet effet (panneau mural journalier ou hebdomadaire recouvert de moquette où viennent se coller les symboles munis de vel- cro, équipé de mini-rideaux occultant les activités passées…).

La pendule « Synopte *» qui permet de lire le temps sans savoir lire l’heure.

Créer les conditions de l’appariement

Des objets concrets ou références à prendre avec soi, emporter d’un lieu à l’autre, à « échanger » contre un bonjour ou l’activité elle même. Carte-photo ou dessin à venir « coller » à côté de la même dans une situation régulière. Cordelette autour du cou, banane à la ceinture, les outils sont disponibles, mais l’accompagnement se fait « main dans la main », Ils sont intégrés dans la situation vécue. C’est ce recul symbolique « agi avec » qui permet d’étayer la compréhension verbale et d’accéder au symbole.

Traces du temps, décorations…

Dans différents espaces de vie, familiaux ou extra familiaux, des pan- neaux évoquent des moments vécus, activités ou sorties, un souvenir partagé (ou pas). Avec des photos, illustrées de commentaires dessinés ou écrits, et d’objets réels (grains de sables, feuilles, ticket d’entrée …). Des montages tout en créativité à la façon des surréalistes ! Occasion de parler pour l’adulte plus que pour l’enfant, et de signer, de désigner. Attention conjointe. Mémoire de vie, dimension collective… Ces panneaux regardés, désignés et commentés en signes permettent aux enfants comme aux adultes de ré-évoquer ces temps partagés, dans un échange multimodal.

Tableaux thématiques

Disposés dans l’environnement, ils sollicitent le pointage. En contexte : Panneaux accessibles aux enfants qui reprennent la chronologie d’une activité.
Hors contexte : Tableaux illustrant des centres d’intérêt, posters avec quelques pictos, compositions de photos.

Règles de vie

Dessiner ce qui est permis, interdit. Introduire le rouge et le vert, symbo- lique internationale. Cela permet le rappel du contrat passé quand cela est nécessaire.

Affichages variés. Annonces

Une invitation à un goûter, une sortie exceptionnelle, peut faire l’objet d’un affichage écrit et illustré. Le but est de « faire circuler de l’image », de façon à ce que tous, enfants et famille soient sensibilisés à une autre forme, alternative, d’information par désignation.

Code OUI / NON.

Avec le bébé, le geste renforcé par l’intonation et la mimique suffira. Pour les enfants pour qui c’est nécessaire, on installera sur les tablettes, sur les accoudoirs du fauteuil roulant, sur les poignets (bracelet de tennis par ex) ou sortis des poches de l’accompagnant, un code sous forme de cartes : rouge pour non, vert pour oui par exemple. Peu importe la forme du dessin, du moment qu’elle est stable. De manière systématique dans la vie quotidienne les interve- nants sont invités à pointer la carte correspondant à leur affirmation ou négation de façon à ce que l’enfant s’en imprègne, geste accompagné du signe comme pour le reste.

Il est inutile de chercher à expliquer la symbolique des codes Oui et Non, trop peu porteurs d’images. Les représentations répandues des faciès avec un sourire pour Oui et une mine déçue pour Non, sont aussi peu explicables que tout autre code. On peut être en effet très content d’avoir à dire Non ou très triste d’avoir à dire Oui. Nous compenserons donc cette difficulté à les représenter par la fréquence de leur présentation, dans la situation vécue. Les cartons rouge et vert ont l’avantage de reprendre une signalétique internationale utilisée sur la route, dans les lieux publics, en foot, etc.

Le cahier de vie

Rassemblement d’images et d’écrits, accompagnés d’indices et de petits objets récoltés et collectés avec l’enfant dans ses activités, il devient au fil du temps un livre, celui dont l’enfant est le héros ! Ses activités, mais aussi ses émotions y sont retranscrites, occasion permise d’avoir des conversations à propos d’un petit rien de la vie de l’enfant qui s’est déroulé avec ou sans nous. C’est un médiateur, un outil qui permet d’instaurer une communication à partir d’un univers de référence rassurant pour lui. Ce cahier lui appartient, l’aide à faire un lien entre les différents vécus et lieux qu’il fréquente. Tellement transitionnel que certains l’ont appelé « doudou de communication » ! L’utilisation régulière de ce support par l’adulte en désignation accompagnée de signes, per- met progressivement de faire découvrir à l’enfant que les images on un sens et qu’il peut les utiliser pour s’exprimer. Il doit être régulièrement réactualisé, en impliquant la famille dans cette collecte.

Les parents y adhérent en général à des rythmes et à des degrés différents et le cahier suit l’enfant de la maison à la crèche ou l’institution. On voit des enfants qui ont des pathologies très lourdes prendre plaisir à la lecture conjointe de ce cahier.

Dans un deuxième temps l’enfant, ayant appris dans le dialogue à quoi cela pouvait lui être utile pourra peut être l’utiliser en expression…

Des « planchettes » de communication

réservées à une situation précise, dans laquelle on propose un choix limité d’items (2,3… jusqu’à une dizaine) : pour le goûter, pour un choix d’activité etc. Une planchette pourra comporter des objets-références ou des images en 2 dimensions.

Lire la suite de l’article sur l’accompagnement des parents.

Article publié dans la revue Rééducation orthophonique, n°241, mars 2010
http://www.orthoedition.com/revues/reeducation-orthophonique-174.html

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